
La différence entre la sympathie et l’empathie
Si vous vous êtes déjà questionné sur la différence entre la sympathie et l’empathie, votre moteur de recherche vous a certainement offert une panoplie d’allégories en ce sens. Mais vous a-t-on réellement expliqué ce que ces différences impliquaient dans votre vécu au quotidien? Prenons le temps de s’y attarder ensemble.
La sympathie
La sympathie, c’est ressentir « avec » l’autre. Elle est basée sur les notions de soutien et d’intérêt. Selon Sinclair et ses collaborateurs (2017), la sympathie est « une réponse basée sur la pitié face à une situation de détresse. Elle est basée sur un manque de compréhension relationnelle et une autopréservation du répondant. »
C’est pas mal rude comme définition, non ? En fait moi, ce que j’aime de cette définition, c’est la deuxième partie : « la sympathie est basée sur un manque de compréhension relationnelle et une autopréservation du répondant ». Prenons le temps de bien comprendre ce que cela implique.
Un manque de compréhension relationnelle
Un manque de compréhension relationnelle signifie qu’on ne peut pas comprendre la situation exactement comme elle est vécue par la personne impliquée. Ce peut être parce qu’on ne connait pas la personne, parce qu’on ne l’a pas vu depuis longtemps ou qu’on ne la connait pas personnellement. Il n’est donc pas question de mauvaise foi ou de superficialité. C’est une question de fait : je ne sais pas où elle en est dans sa vie présentement et comment elle vit intimement la situation. Prenons l’exemple suivant :
Toi et moi, nous nous rencontrons dans un café de notre quartier, un chaud matin de juillet. Es-tu un voisin éloigné ? Une collègue de travail ? Nous avons ce genre de relation qui est familière, sans trop être personnelle. Mon café chaud à la main, je te dis sèchement « mon père est décédé hier soir ». Je fixe ma tasse, les yeux cernés. Instinctivement, tu m’offres tes sympathies et comprends que c’est un moment spécial et lourd à la fois. Mais comment ce décès s’inscrit-il dans ma fiche de route ? Est-ce un soulagement ? Est-ce un père incestueux de qui je souhaite la mort depuis des décennies ? Ou peut-être, est-ce ma principale figure d’attachement et je suis dévastée ? Tu ne connais rien de ce pan de ma vie et pourtant, tu m’offres tes sympathies. Mais pourquoi, exactement ?
Peut-être que c’est par respect pour cette période charnière de la vie. Ou peut-être que tu réponds instinctivement puisque tu as appris à répondre ainsi ?
Peut-être as-tu été prise de court et ne savait pas trop quoi répondre ? Peut-être que toi aussi, tu as vécu quelque chose de similaire et que c’est venu émotionnellement te happer. Qui sait.
Un temps d’arrêt et une marque de respect
Offrir nos sympathies, c’est aussi une façon de dire à l’autre que ce qu’il dit, ça nous touche et nous voulons prendre un temps d’arrêt pour lui partager ce respect que nous ressentons pour ce qu’elle vit. Cela peut impliquer qu’on ne connaît pas nécessairement la façon dont elle le vit intimement et que nous avons un doute de la réaction avec laquelle elle le vit. Tu sais, le genre de terrain glissant dans lequel on s’enlise et anticipe les faux pas. C’est une façon de tester l’ouverture de notre interlocuteur à partager davantage son vécu.
Si tu me dis « Mon père est décédé hier soir » , je ne te connais malheureusement pas personnellement et je ne comprends donc pas exactement ce que le décès de ton père signifie réellement pour toi. Est-il décédé rapidement ? Est-ce que tu t’y attendais ? Quelle relation avais-tu avec ton père ?
La sympathie ne s’avance pas sur ce terrain-là. Elle marque un temps d’arrêt, une pause, une marque de respect. Pourtant, la sympathie a souvent bien mauvaise presse. On l’associe souvent à un trop-plein émotionnel exubérant du genre : « Oh mon Dieu, c’est épouvantable! », les bras gigotant dans tous les sens, les yeux mouillés de larmes. Souvent, la sympathie est exclusivement associée à ce genre de réaction. Pourtant, la sympathie peut être tout autrement.
Autopréservation de l’aidant
La sympathie va au-delà d’une réponse face à un décès. Ce peut être toi, à 15 minutes de fermer les livres sur ton lieu de travail, qui regarde l’heure en pensant à la garderie qui ferme dans 40 minutes. Ton seul désir est de finir cette $%?& de tâche pour partir en vitesse chercher ton coco à la garderie et finir en vitesse ta tâche. Mais – horreur!!- ta collègue débarque dans ton bureau pour s’épancher sur sa dure journée et le fameux client désagréable. À ce moment, tout ce que tu penses c’est « j’ai pas le temps de t’écouter », en comprenant malgré tout à quel point sa journée a pu être difficile. Pour te sortir de cette situation efficacement (rappelle-toi, la garderie ferme dans 40 minutes. Euh non, 38 minutes maintenant), tu vas lui offrir une base de sympathie : « Pauvre toi, je sais, le gars était vraiment lourd! ».
Ça, c’est de la sympathie.
Dans le fond, tu aimes bien ta collègue Laurence, et tu comprends bien dans l’état qu’elle est. Tu ne comprends toutefois pas exactement sa perspective puisque toi, tout ce que tu veux, c’est de fermer ton classeur et aller chercher ton garçon et déguerpir au plus vite. Ta sympathie a tout de même un usage social et émotionnel important. Il vise à soutenir ta chum Laurence qui est encore envahie par ce sentiment de désespoir face à un client désagréable. Tu n’as pas agité des bras dans les airs, roulé les yeux ou fait couler une petite larme. Mais offrir de la sympathie : oui.
La sympathie, ça peut être aussi quand on répond à un client que nous sommes désolés pour lui, alors qu’au tout profond de nous, il n’y a aucune fibre émotionnelle qui résonne face à sa détresse. On se doute que ce soit frustrant, mais afin de ne pas dépenser trop notre énergie face à ce énième client frustré, nous répondons en sortant notre laïus habituel du genre « je suis désolée de ce temps d’attente. Il est involontaire de notre part ». Cette réponse avec un pas de recul non investi, c’est ce que Sinclair évoque en parlant « d’autopréservation » du répondant. C’est une façon de ne pas trop s’investir, tout en offrant un minimum requis pour partager à l’autre que nous sommes avec lui dans une position de soutien. Ce n’est pas méchant ou égoïste. C’est un investissement mesuré.
L’empathie
En comparaison avec la sympathie, l’empathie a un niveau d’investissement émotionnel beaucoup plus important. Comprendre ce que l’autre éprouve et entrer en résonance avec lui, voilà ce qu’est réellement l’empathie. Nous voulons comprendre ce que la personne vit selon sa perspective. C’est d’ailleurs le concept le plus utilisé dans les études sur la fatigue de compassion.
Face à cette phrase « mon père est décédé hier », une réponse empathique implique de tenter de comprendre comment l’autre vit la situation. Si je connais bien la personne, c’est facile. Si je te dis cette phrase alors que tu m’as souvent écouté te dire à quel point la relation avec mon père est puissante et réconfortante, tu sais à quel point son décès est une lourde perte pour moi et tu sauras rapidement comment ajuster le ton de ta réponse. Tu me serreras probablement dans tes bras, ton expression faciale changera et tu seras probablement hypervigilante face aux réactions de mon corps en réponse à tes paroles.
Deux composantes
Une des pierres angulaires du vécu expérientiel de l’empathie, c’est qu’elle comporte deux composantes qui se tiennent un peu comme deux rails de chemin de fer, côte à côte, reliés par des planches perpendiculaires tout au long de la route. Un des rails représente la composante cognitive de l’empathie, et l’autre, émotionnelle.
La plupart des gens ont une prédominance entre l’une ou l’autre des réponses. Ce genre d’information, nous devrions l’apprendre dès nos premières années à l’école et je ne comprends toujours pas pourquoi personne ne nous l’a expliqué à l’école!
Ceux qui ont la réponse cognitive plus instinctive ont tendance à vouloir comprendre les détails, les intentions, les désirs et les croyances de l’autre qui sont associés à ce dont il nous parle. On tombe alors en résonance cognitive. Par exemple si tu me dis « mon père est décédé hier », je vais t’offrir mes sympathies. Mais tout de suite après, je vais me poser plein de questions. Est-ce que c’était quelqu’un qui était proche pour toi ? Est-ce que c’est un soulagement ? Était-ce un père absent ? Comment se sont déroulées ses dernières semaines ? Était-il souffrant ? Toutes ces questions-là vont défiler rapidement dans ma tête et soudainement, je vais probablement te poser une question ouverte qui ressemble à quelque chose du genre « c’était qui pour toi, ton père ? », ou « Quelle relation avais-tu avec lui ? ». En fonction de ta réponse, si je vois que tu veux en parler davantage ou si je vois que tu ne veux pas en parler et que tu te refermes, je vais faire de l’accordage affectif[1] et m’ajuster à ton rythme et les intentions que je te devine. J’ai toutefois réellement besoin de cette étape cognitive pour me faire une carte mentale et une arborescence de possibilités pour mieux comprendre cette différence que cette perte signifie pour toi. Voilà une réponse cognitive.
Quant à la réponse émotionnelle de l’empathie, elle fait davantage référence à un sentiment ou une résonance émotionnelle. Les gens qui ont une réponse émotionnelle plus instinctive vont souvent me dire que lorsqu’on leur dit des phrases frappantes comme celles-ci « mon père est décédé hier », spontanément, ils vont ressentir une sensation dans leur corps qui va tourner leur attention vers l’autre. Ils ont l’impression que c’est leur corps qui est happé et qui vient tanguer avec l’autre.
Choisissez votre camp, car sinon ce sera la fin!
Lorsque j’adresse le sujet de l’empathie en conférence ou formation, je questionne toujours le groupe en forçant la division vers l’un ou l’autre des deux côtés. Je le sais, c’est plutôt cruel, mais comme on dit : diviser pour mieux régner ? Il y a toujours alors quelques âmes perdues, qui tentent de rentrer dans le moule, mais n’y arrivent pas (que Dieu les bénisse!). Je tente alors de forcer encore plus leur positionnement et habituellement, il y a toujours quelqu’un qui s’y oppose et argumente sur le pourquoi qu’il n’arrive pas à se camper dans l’une ou l’autre des positions. Et c’est exactement ça le point : la réalité est bien plus complexe qu’elle ne peut le paraître.
Prends le temps de te poser les deux questions suivantes :
- Quel type d’empathie est la plus naturelle pour toi : celle cognitive ou émotionnelle ?
- Dans quelles situations traverses-tu le raille l’instant de quelques secondes ou minutes et ce, malgré toi ? Est-ce dans des situations sensibles ou qui font résonnances avec toi vécu ? Une situation stressante ou en lien avec une problématique qui te touche droit au cœur ?
Si tu prends bien le temps de te poser ces deux questions, tu vas probablement t’apercevoir que les situations qui te font changer de railles sont souvent celles qui sont liées à des événements qui touchent ton vécu intime et personnel ou qui te touchent de près ou de loin.
Et lorsqu’on change de raille, même si ce n’est que pour quelques secondes seulement, il faut retenir une chose :
ce mouvement de va-et-vient demande énormément d’énergie.
Et si, de surcroit, ton travail implique continuellement d’entrer en contact avec la menace à l’intégrité physique ou émotionnelle de quelqu’un (coucou les T.S., psychologues, infirmières, psychoéducateurs et autres amoureux de la race humaine!), le mouvement sera encore plus lourd de sens et par le fait même, exigeant.
Dans les fonctions d’aidant.es, le changement constant de railles est donc inévitable. Il fait partie même de cette fonction. L’empathie, c’est comprendre ce que l’autre éprouve et entrer en résonance avec l’autre. Et ça demande par conséquent énormément d’énergie. Mais pourquoi on ne nous a pas appris ça à l’école ?
L’empathie : une célébration de bonheurs partagés
Contrairement à ce que l’on peut penser, offrir de l’empathie n’est pas seulement dans les contextes où l’autre est souffrant. Par exemple, si je te dis que j’ai gagné le gros lot de 3,5 millions de dollars, tu peux être empathique envers moi en t’imaginant tout ce que tu ferais avec cet argent. Tu auras probablement une montée d’émotion un peu plus forte que ce que tu vivais à l’instant, éclater de joie en pensant – et ressentant – la joie que tu m’imagines vivre et puis hop! Te perdre dans tes pensées sur comment tu dépenserais ce beau magot. Ça représente une nouvelle auto, des fonds d’études pour les enfants, un voyage, peut-être même une nouvelle maison. Tu es capable de te l’imaginer. L’empathie peut aussi se vivre en contexte d’événements heureux.
Pourquoi les différencier?
Différencier la sympathie de l’empathie a plusieurs fonctions :
- Comprendre que la sympathie n’est pas mauvaise en soit. Elle permet une autopréservation qui est nécessaire lorsque nous sommes constamment sollicités pour offrir notre aide. Et c’est parfait ainsi.
- L’empathie demande de l’énergie vitale et est une ressource précieuse. Jours après jours, notre travail d’aidant implique de partager cette richesse que nous avons en nous mais aussi de perdre quelques plumes en cours de route. Reconnaître ceci nous permet d’y accorder plus d’importance et de choisir comment nous l’offrons aux autres, comme à nous-même.
- Reconnaître quand je change de rail : reconnaître ce qui suscite des résonnances douloureuses ou plus demandantes, c’est aussi faire un premier pas dans le chemin de l’autocompassion. Si tu sais que la prochaine entrevue sera difficile, pourquoi ne prends-tu pas 2 minutes supplémentaires pour prendre un verre d’eau, relire tes notes, te faire un plan de match? Ce temps-là est précieux, tout comme celui qui suivra cette rencontre. Peut-être serait-il utile de te donner 5minutes après pour te déposer et voir comment tu vas réellement?
Comprendre la différence entre la sympathie et l’empathie, c’est aussi comprendre à mieux utiliser ces deux belles ressources qui sont en toi. Elles sont de grandes valeurs et méritent qu’on leur accorde toutes deux de l’importance. Tout comme ton bien-être, d’ailleurs!
Chaleureusement,

Référence
Sinclair, S. Raffin-Bouchal, S., Venturato, L., Mijovic-Kondejewski, J. et Smith-MacDonald, L. (2017). Compassion fatigue: a meta-narrative review of healthcare literature. International journal of nursing studies, 69, p.9-24.